Inauguré en 2016, le « Bitcoin Boulevard » a vu passer des dizaines de passants désireux d'utiliser leurs cryptomonnaies dans leur vie quotidienne. Mais, depuis l'envolée des cours, les transactions se font de plus en plus rares. Reportage.
Des lampes anciennes aux horloges, des tabourets aux porte-manteaux… Chez Rickshaw, passage du Grand-Cerf dans le 2e arrondissement de Paris, tout est payable en bitcoin. Gaël Ouaki, gérant du magasin, accepte ce moyen de paiement depuis plusieurs années. Ce passionné de technologies, qui se considère comme « avant-gardiste », s'intéresse au Bitcoin depuis 2014 et a créé le « Bitcoin Boulevard », cette rue de Paris où les commerçants proposent à leurs clients de payer leurs achats en cryptomonnaie.
Dès novembre 2016, il avait entraîné, avec Jacques Favier, un autre passionné de l'écosystème Bitcoin, une vingtaine de commerçants du passage du Grand Cerf, qui s'étaient laissés séduire par ce nouveau moyen de paiement prometteur. Leur motivation ? Attirer une clientèle plus jeune, technophile et notamment étrangère. Un temps médiatisé, le lieu a vu passer quelques dizaines de cryptophiles désireux de s'essayer aux transactions en bitcoin. Mais six ans après, de nombreux commerçants ont quitté le passage et les paiements en cryptos se font de plus en plus rares…
« Je n'ai eu aucune transaction en cryptomonnaies en 2024 pour le moment », déclare Gaël Ouaki. « J'ai eu pas mal de paiements pendant deux/trois ans mais aujourd'hui plus du tout », indique-t-il. Une des raisons qui peut expliquer cet arrêt brutal est l'augmentation exponentielle du cours du bitcoin et des autres cryptomonnaies ces dernières années. En décembre 2020 par exemple, le bitcoin valait 15.000 euros (contre 62.000 euros au 18 octobre), l'ethereum 500 euros (contre 2.400 euros au 18 octobre), le BNB 24 euros (contre 548 euros au 16 octobre), et le solana ne valait même pas 2 euros, contre 141 euros aujourd'hui. Cette explosion des prix pousse les détenteurs à garder leurs cryptos pendant plusieurs années (« hold » en anglais) et à espérer que leurs actifs continueront d'augmenter.
Le magasin Rickshaw accepte les bitcoins. © Sébastien Bordry
D'autres magasins avaient suivi le mouvement
Lorsqu'on déambule dans ce passage dépendant de la rue Saint-Denis à la rue Dussoubs, des autocollants orange avec écrit « Nous acceptons Bitcoin » sont apposés sur certaines devantures. Chez Khara Tuki, Fanny Roux de Badilhac accepte le bitcoin depuis le début de l'aventure. Contrairement à Gaël Ouaki, le commerçant a croisé cette année des clients désireux d'utiliser leur cryptomonnaie. « J'ai eu deux personnes qui ont payé en bitcoin en 2024 », indique Fanny Roux de Badilhac. Mais ses clients n'étaient pas vraiment « lambdas ». « Ce sont des personnes très engagées dans l'écosystème qui voulaient dépenser leurs cryptos », explique la gérante. Ce jour-là, ses clients avaient acheté un parfum et un bijou, pour une somme atteignant « pas loin de 100 euros », dit-elle.
De l'autre côté de la rue, Marie Wang, vendeuse de bijoux avec son magasin Dear, n'accepte plus ce moyen de paiement. « J'accepte il ya quelques années mais plus personne ne me demande de payer en cryptomonnaies. J'ai donc pris la décision d'arrêter de les accepter », confie-t-elle. Marie Wang n'est pas fermée à de nouveau accepter les cryptomonnaies si elle voyait une demande croissante de la part des clients.
Même son de cloche du côté d'Aymeric Petitdidier, opticien au magasin « Pour vos beaux yeux ». Il indique qu'il n'a « encore jamais eu de transaction en cryptomonnaies » et qu'il ne les accepte pas mais « qu'il serait prêt à les accepter si les clients ultérieurs ».
Comment payer avec des cryptomonnaies
Lorsqu'un client désire payer en bitcoins, le vendeur va entrer le montant de l'achat sur une application spéciale. Cela va générer un QR Code que l'acheteur devra flasher. À ce moment-là, le client confirme le montant puis valide l'opération. En quelques secondes, le vendeur est automatiquement crédité en cryptomonnaies ou euros sur son compte en banque s'il a choisi un transfert bancaire automatique immédiat. « Cela est vraiment une solution de paiement supplémentaire », explique Fanny Roux de Badilhac. Même procédé pour Gaël Ouaki, qui accepte les paiements en cryptomonnaies grâce à un terminal de paiement spécial.
Si les détenteurs français de cryptomonnaies ne déambulent plus, pour le moment, passage du Grand-Cerf, ce n'est pas pour autant qu'ils ne s'intéressent plus à ce secteur. Selon la dernière étude de l'Adanréalisée en partenariat avec KPMG et l'institut de sondage Ipsos et publiée en mars 2024, « 12% des Français (de 18 ans et plus, NDLR) possèdent des cryptomonnaies » début 2024 (date à laquelle le sondage a été fait).